Scénographie





PROLOGUE





(1ère voix : depuis la billetterie)

C'était un soir d'été de l'an de grâce 1429 du calendrier Julien.



[des enfants sortent de la grange et jouent]

Dans la basse cour, les jeux des plus jeunes donnaient encore aux temps d'alors, longs comme des jours sans pain, une insouciante verdeur.

Sous le porche doré par la chaleur du soir, l'air si frais du matin, disparu au zénith, semblait à nouveau revenir, comme les hommes et les bêtes, las du travail des champs, chargé de poussières et de senteurs.

[l'Angélus commence à retentir]

A une demie-lieue de là, la cloche de Saint Mesmin le Vieux entamait, dans l'azur encore brûlant, l'Angélus du soir.  C'était la prière latine et mystérieuse de l'Incarnation qui, comme une onde, se répandait dans la châtellenie, chaque jour, selon la coutume qui s'était répandue partout en Occident depuis la première croisade du XIe siècle.

Que restait-il alors de la splendeur des temps anciens, chrétiens et chevaleresques ?


(2ème voix : depuis l'étage du châtelet)
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Une fois de plus, l'insécurité agitait les campagnes, mais cette fois-ci, c'était peut-être la fin d'un monde, né mille ans plus tôt sur les ruines de Rome, et qui semblait vouloir s'éteindre à son tour, après la succession mâle de 52 rois francs depuis le légendaire Pharamond...

C'était maintenant grande pitié que la France. Après bientôt Cent ans d'une interminable guerre, débutée en 1337, le roi fou Charles VI avait lui-même déshérité son propre fils, qu'on disait bâtard, au profit de son beau-frère Henri V d'Angleterre.
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Charles VI et Henri V moururent tous deux en 1422. Et le vaste royaume d'antan était maintenant la proie des partis, anglais, bourguignons et armagnacs, et de leurs écorcheurs.

Mais ici, dans le secret des cœurs, chacun avait su confié son destin à la Providence de Dieu, plutôt qu'à l'alignement des astres.



[Les pèlerins apparaissent, accompagnés d'un âne]


(3ème voix : depuis l'étage de la ferme)


Soudain, les enfants des paysans, qui jouaient dans la cour, entendirent une clameur venue du chemin de la Gallardière et laissèrent là leurs épées de bois et leurs poupées de paille.

C'était, au loin, un âne et trois  hommes avec de grands chapeaux, venant bourdon à la main et chantant : "Ultréia, ultréia ! et sus eia, Deus adjuva nos !"


Leurs visages étaient creusés, mais derrière le hâle, ils revenaient du bout du monde en hommes repentis, nimbés de paix et de charité.



Scène I : Dans la basse cour


[Ambiance : sobriété heureuse]

"- Jehan, mon fils, me voici de retour !

- Mais racontez-nous, dit Jehan ! Près de dix mois sont passés et vous avez tant marché !

François se présente, et parle de son périple, puis de la composition du monde connuu

- Oui, on m'appelle François [PUAUD], je suis le nouveau métayer établi sur la tenure de l'ouche neuve à deux pas d'ici, répond François en dépliant une carte tirée de sa besace, nous sommes partis depuis la Saint-Michel après les dernières récoltes, et nous avons entrepris le pèlerinage pour aller prier sur la tombe de Jacques de Zébédée, frère de Saint Jean l'évangéliste, jusqu'au bout du monde en  finisterre, en suivant la route bretonne par Bressuire et Parthenay, jusqu'à la voie de Tours. Ah mes amis, quel périple ! Saintes, Bordeaux, Ostabat et Roncevaux ! et puis les contrées espagnoles, Burgos, Léon et enfin Santiago !

Regardez, ceci est la carte du monde en O et en T, l'Orbis Terrarum. Il est circulaire et entouré d'une mer infranchissable. Dieu seul sait ce qu'il y a au-delà. Les trois continents sont les trois parties du monde que les fils de Noé se partagèrent après le Déluge. Au centre, se trouve le tombeau du Christ, notre porte pour l'au-delà. En orient, là est le début du monde avec l'emplacement de l'Eden primitif. Et en Occident, à Saint Jacques, c'est l'autre bout du monde, la fin de ce monde... Voilà pourquoi ce pèlerinage est aussi prestigieux de celui de Rome ou de Jérusalem.

René se présente, parle de ses autres pèlerinages et de sa procuration

- Eh oui, [dit René THIBAULT], nous sommes devenus jacquets, parmi 500 000 autres chaque année.

Moi, je suis de mainmorte, en servage comme l'était mon père et mon aïeul avant lui. Nous avons toujours été attachés au seigneur de Saint Mesmin aussi loin que ce château existe, et nous avons toujours travailler à faire valoir la réserve des Montfaucon.


J’ai ici toutes mes enseignes de pèlerinage, elles ont touché les reliques des saints et elles sont donc très précieuses.

Car ce n’est pas le première fois que je pars  sur les chemins :

  • jadis, je suis allé il y a quelques années au Mont Saint Michel si abîmé par les anglais mais les religieux du Mont sont en travaux maintenant, je suis un jacquet mais aussi un miquelot. Quelle vision que cette baie ! j’ai prié le chef des armées du Ciel, le saint archange qui avec sa balance, pèsera le bien et le mal de nos âmes le jour où nous comparaîtrons tous devant Dieu ;

  • je suis aussi allé à Saint Denis, le premier évêque de Paris, venu de Rome, celui qui fut décapité sur le Mont Martre (le mont des martyres) et qui prit ensuite sa tête sous son bras pour montrer à tous l’endroit de la future basilique.

  • l’an passé en 1428, notre saint pape Martin V a promis l’indulgence à ceux qui partiront à Rocamadour pour le salut de la France du Dauphin, celle du petit roi de Bourges, c’était à la demande de la reine Marie d’Anjou ! Lors du grand pardon de Pâques, j’y ai vu la Vierge noire, la cloche qui sonne toute seule quand un marin est sauvé de la tempête, et même l’épée de Roland fiché dans le rocher ! et j’ai rapporté la sportelle qui m’a servi de laisser passer !

  • Enfin, cette fois comme avant suis parti par procuration de messire de Montfaucon, retenu par ses devoirs. Avec mon enseigne à miroir, j’ai touché le reliquaire. Et je rapporte à mon Seigneur la Compostella sous scel authentique.


Engilbert parle du gîte, donne les raisons de son voyage, et parle de l'indulgence

- Nous avons toujours mangé à notre faim, poursuit Engilbert, et nous avons parfois dormi dans le fossé, mais aussi en ville. Si vous aviez vu ça, des cités autrement plus belles que Bressuire, et partout des boutiques de marchands et d'artisans ! De bonnes maisons bourgeoises bien confortables pour nous accueillir, avec latrines à l'étage, ou bien des maisons-Dieu. Moi, je me nomme Engilbert [COUTANT], maçon de mon état, et je suis parti pour expier ma faute avec cette chaîne autour du cou, forgée dans le fer de l'arme de mon crime. Un soir à l'auberge du cheval blanc, trop plein de vin, j'ai occis un hôte de passage (paix à son âme) et je ne me rappelle de rien. J'ai marché avec mon patenôtre à la main pour gagner l'indulgence et méditer sur les sept péchés capitaux que j'ai vu fraîchement peints sur les murs de l'église de La Pommeraie, juste avant mon départ.

René reprend au sujet de la situation du royaume et des troubles

- Quelle tristesse que cette France ou de ce qu'il en reste, ajoute René. Dire que c'est toujours la guerre avec, il y a peu après tant de défaites, cet infâme traité de Troyes en 1420 : dans sa folie, feu le feu roi Charles VI a osé déshérité son propre fils au profit de sa fille Catherine, femme d'Henri V d'Angleterre. Depuis 1337, voilà quand même cinq règnes que ça dure avec ces maudits anglais qui sont partout sur les chemins, et qui se prétendent chez eux. Tout ça pour avoir cru que notre royaume pouvait passer aux femmes en succession ! Mais la Couronne de France ne peut tomber de lance en quenouille, et les lys ne filent point la laine ! Et en prime, tous ces passeurs, coupe-jarrets, tire-laines et coquillards qui terrorisent les campagnes ! Dieu nous vienne en aide !

Engilbert fait part des évolutions du château

- Mais dîtes-nous,  reprend Engilbert, le château est devenu méconnaissable ! Il y a maintenant ce gros donjon construit dans la douve. Il fait bien 14 ou 15 toises de haut, ce qui nous doit nous faire 80 / 90 pieds, ou je ne m'y connais pas. Et puis, le gros pont levis du châtelet à deux chaînes a été remplacé par ce petit pont à flèche bien plus rapide à manœuvrer, et avec un seul homme".

A peine avait-il fini de parler que, du haut du donjon, un garde sonne longuement de son olifant, puis hurle :

"- Oh là, qui va là ! Quel est cet attroupement ! Ne restez pas dehors, le jour tombe et la campagne n'est pas sûre ! Entrez par le pont, on va bientôt fermer !".

Les pèlerins d'abord, puis les enfants, femmes et hommes, tous s'engagèrent sur le pont, laissant derrière eux la cour déserte.






Scène II : dans la haute cour




[Ambiance : tendue]


"- Halte là ! On ne passe pas !"

Deux hommes d'armes farouchement équipés pour le combat, ont fait irruption dans le châtelet, et barrent un peu le passage avec leurs lances. Ils ont pour nom Pierre SANSON et Toussaint BAILLY.

"- Qui êtes-vous ?

- Allons, Pierre, Toussaint, vous ne nous reconnaissez pas ? Nous sommes René, François et Engilbert, de retour de Saint Jacques.

- Bon, va pour vous, dit l'un des gardes, mais les autres ! Sont-ils tous du parti Armagnac ? Quand je vois la mine blanche et les yeux vitreux de certains, qui nous dit qu'il n'y a pas quelque anglais, ou quelque bourguignon traître au roi Charles VII ?

(les visiteurs entrent dans la haute cour).

Tiens, regarde, celui là est aux couleurs des bourguignons, encore un français renié !

(L'un des gardes saisit l'un des visiteurs, vêtu en jaune et bleu, ils le mettent aussitôt au carcan, et le molestent un peu).

- On ne rit plus, montrez vos sauf-conduits : une couleur par pèlerin, et que personne ne change de groupe. Azur à gauche, gueules au centre, sinople à droite !

(chaque pèlerin montre une couleur sur une planche).
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Les soldats présentent leur équipement


Nous sommes de simples soldats piétons, et notre armement n'a rien à envier à celui de ces maudits archers anglais. Une salade sur le tête comme chapel de fer, une cotte de mailles ou un gambison, quelques pièces plates d'armure, une épée et une dague à rondelle dite "perce-maille".

Ils montrent la bouche à feu

- Nos journées sont bien longues à faire le guet et la garde. Au fait, Toussaint, dit Pierre, messire de Montfaucon vient de faire l'acquisition d'une bouche à feu. C'est révolutionnaire, comparé aux anciennes machines de guerre. On dit que notre bon roi les appelle les siens, qui sont en bronze et bien plus gros, ses "chiens verts". Il faut que je te montre ça, viens !

(Tous deux entrent dans le châtelet où le canon est déjà installé. Pierre approche la poudre de la pièce d'artillerie)

- Donc ici, on peut mettre de la poudre noire comme ceci. C'est chinois. C'est fait avec du salpêtre, du souffre et du charbon de bois de tilleul ou de saule.

- Oh là, on ne joue pas avec la poudre !

- Ne t'inquiète pas, ça ne marche qu'une fois sur deux... Ce canon, il a déjà fait les 400 coups et je crois qu'il a été révisé... je crois...

(Une femme traverse avec un baquet vers la cuisine, puis tous les autres acteurs, qui peuvent saluer : un pèlerin fait en même temps les présentations...)

(A l'étage du châtelet, une femme ouvre la fenêtre et crie : gare à l'eau !, puis jette le contenu de son seau)

(L'autre soldat allume discrètement pétards et fumigènes : Boum !)

Allez, allez, pèlerins, partez d'ici, rentrez, ça pourrait encore tirer !



Scène III : à l'office



[Ambiance : studieuse]

(Le prévôt répondant au nom de PORTEFRUIT est seul dans le pièce. Il est assis à une table et compulse son registre, qu'il annote à la plume.)

Voici là le sieur Portefruit, prévôt de ce lieu, pour  la justice de messire de Montfaucon. Sous ses airs rugueux, c'est un prud'homme qui sait bien compter, surtout pour garnir son aumônière, si vous voyez ce que je veux dire...

"- Allons, allons, voyons un peu notre censier. Voilà enfin un registre terrier où l'on peut répertorier l'ensemble des droits féodaux de Messire de Montfaucon. Ce domaine n'est pas si simple à gérer, avec toutes ces petites tenures de paysans ! Enfin, le pays est peuplé, et les jours de corvée, le curage des fossés, l'empierrement des chemins, le nettoyage des puits et l'abattage du bois de la réserve se fait bien.

(Il tourne les pages)

Le 29 septembre, à la Saint Michel, les paysans viendront payer le champart, en nature : une gerbe sur 10 de récoltées.

Le 9 octobre, à la Saint Denis, il leur faudra payer le cens en bonne monnaie, pour la terre que le seigneur leur concède. Oh, ce n'est pas bien cher.

Et puis ensuite, que cela leur plaise ou non, il y a les redevances pour le four et le pressoir, et puis aussi pour le moulin là-bas, sur le Sevreau.

(Il se frotte les mains et ricane).

Et pour moi qui sait lire et compter, un tiers de tout cela".

Soudain, Marie PUAUD, panier au bras et sac sur l'épaule, se présente dans la porte.

"- Entre, Marie, je t'attendais. Que m'apporte-tu là ? des œufs frais, un lapin, du seigle... Montre voir !

Sieur Portefruit, j'espère qu'il est sain, car s'il a de l'ergot avec des tâches noires, tout le monde au château pourrait mourir du feu de Saint Antoine en mangeant son pain noir ! Un feu qui gangrène et noircit les doigts et les orteils, prend tout le corps avec de grosses pustules et des convulsions, jusqu'à une mort bien douloureuse. C'est le mal des ardents ! Dieu nous en préserve, par saint Antoine !

Enfin, nous ne sommes plus au temps de la grande peste du siècle dernier, sous le règne de Philippe VI en 1347.  Cette année-là, il y eut dans le ciel une étoile très grande et très claire, funeste présage. Ici comme partout, c'est le tiers de la population qui mourut en à peine deux ans ! Un fléau venu de Marseille et des bateaux génois. Ici, de nombreux villages furent abandonnés, les forêts reprirent leurs droits sur les terres, faute de main d'œuvre.

Enfin, aujourd'hui, les temps sont plus cléments. dis-moi, la Marie, comment vont tes enfants, et ton mari, le nouveau métayer ?

- Oh, celui-là, avec ses idées de pèlerinage, il m'a laissé seule pour faire les 4 saisons, j'ai dû louer davantage de journaliers, et puis j'ai cinq bouches à nourrir, et une paire de bœufs. Enfin, je viens pour le métayage (elle palpe le bout de son chaperon et verse des pièces de monnaies sur la table). On a reçu la moitié des semences, alors voilà qui fait la moitié de la récolte.

(Le prévôt se lève pour aller chercher son coffret).

- Avec tous des troubles qui dure depuis si longtemps, il n'y a pas deux monnaies pareilles dans ce coffre ! De la maille, des oboles sans valeur, des pièces royales, seigneuriales, et même étrangères. De la monnaie blanche en argent, de la monnaie noire en cuivre... et de la monnaie d'or.

Regarde bien celle-ci : c'est un ancien franc du temps de la libération de Jean II le Bon, le franc à cheval. Il a été frappé en 1360, pour payer sa rançon, après 4 ans dans les prisons de Londres, plus de 12 tonnes d'or, et en prime, le quart du royaume !

Donne moi tes monnaies, que je vérifie si elles sont de bon aloy, sonnantes et trébuchantes. (Il père avec son trébuchet). En voilà une qui ne sonne point ! Encore de la fausse monnaie, qu'on t'aura donné sur la foire à la Sainte Catherine ! Mon Dieu, elle est bien molle, faite au moule, à peine couverte d'argent, et elle se tord comme de la cire !

- Maître prévôt, je n'y suis pour rien !

- Sais-tu ce que la justice du Roi fait aux faux monnayeurs ? Tiens, j'ai encore ici , au clou, le procès de celui qu'on a pris à Pouzauges : l'affaire est encore pendante, elle n'est pas tout-à-fait dans le sac !

Et ce faux monnayeur pourrait avoir aussi plus d'un tour dans son sac ! Le bailli, à Poitiers, le punira de mort. On le traînera derrière un cheval au galop, on le mettra ensuite à bouillir à la marmite et puis son corps sera pendu à la vue de tous ! Voilà qui ferait de l'effet à côté du château, ici, au bois des justices : là où se trouvent les fourches patibulaires de la châtellenie.

Allons, Marie et toi, pèlerin, sortez d'ici. On ne se moque pas de la justice du roi. Il pourrait me prendre l'envie de vous croire complices !



Scène IV : à la cuisine



[Ambiance : fumeuse et agitée]

Le feu ronfle dans la cheminée. Un premier marmiton tourne la broche sur laquelle deux ou trois poulets rôtissent, tandis qu'un second est assis à la table.
Le queux a gardé son surnom d'apprenti : POIRE MOLLE. Avec sa grande louche de bois, il s'affaire entre ses pots. Sa femme, Violaine, les mains sur les hanches, elle interpelle le marmiton désœuvré :

"- Tiens, pèlerin, assieds-toi donc, pour goûter ce pâté et sa sauce au verjus. C'est une recette du Viandier de Taillevent pour le dîner de demain midi, car ce ne sera pas jour de jeûne comme c'est le cas la moitié de l'année. Et puis, cette naissance là haut, fille ou un garçon, il faudra bien la fêter, et au mettra des épices !

- Merci mon bon Poiremolle, tu es le meilleur queux que je connaisse, et tu félicitera ta femme Violaine pour cet excellent fumet de saindoux !

(Le pèlerin s'attable en se frottant les mains, et sort son couteau de sa besace. Elle le sert sur un tranchoir. Il coupe et mange avec les doigts).

- Pierrot, tâche de me choisir les bons aliments, c'est pour le seigneur, et il y aura aussi son beau-père, messire de Beaumont-Bressuire ! (Il a devant lui des pois, des navets, des radis noirs, des panais, des haricots secs, des poires, des pommes, des fraises, des salades, de la poirée, des choux, du fenouil, du pain noir, du pain blanc. Il se trompe, elle le reprend...).

- Bon, tu seras chargé d'orner la table de demain : Poire molle mon mari, s'occupera de la dresser sur tréteaux, je poserai la grande nappe et aussi la longière par-dessus pour que les convives puissent s'essuyer les mains et la bouche. Elle désigne les objets présents contre le mur. Ici, c'est la nef du seigneur où il range ses effets, mais nul n'a le droit d'y toucher. il a trop peur de l'empoisonnement, avec tous ces troubles. Là, c'est l'aquamanile, avec lequel nous laverons les mains des convives après avoir sonné du cor. Et là ce sont les tranchoirs que l'on a préparé en coupant le pain en deux.

- Pardon de vous interrompre, dit le Pèlerin, mais j'ai grand soif quand je vois ce pichet de vin.

- Je t'en propose, mais avec mesure : c'est le meilleur que l'on réserve au seigneur (on le sert).

- Oh merci ! (Il fouille dans sa besace). Voilà qui me changera de mes 3 litres quotidiens de vin de râpe, car c'est ici un bon vin de mergoutte, clair et délicieusement foulé aux pieds ! (Il le hume mais fait la grimace). Oh là, après le fruit cru, le vin est bienvenu, mais là, avec cette odeur de pestilence, ce vin pourrait fait le cimetière bossu ! (le pélerin se reprend et fouille dans sa besace). Tiens, je crois que je peux vous montré le trésor que j'ai rapporté de Saint Jacques : un morceau de corne de licorne qu'un pêcheur de baleine de Saint Jean de Luz m'a vendu à prix d'or. J'y ai laissé toute ma fortune. Moi, je n'ai jamais vu de licorne, mais on dit qu'elles ont corps de cheval, barbiche de bouc et sabots fendus, et qu'elles sont féroces comme des lionnes. Seules les jeunes filles vierges peuvent les approcher. Leur corne guérit moult maladies, et si on la trempe dans le vin, elle mousse s'il y a du venin. Mais ici, Violaine, on ne risque rien dans son propre logis ! (il la trempe, et le vin se met à mousser).

Par saint Joseph et tous les saints, le vin se met à bouillonner et à fumer ! Vite, quittons les lieux, je préfère m'éclipser, de peur que l'on m'accuse !




Scène V : à la chapelle



[Ambiance : recueillie]

(Gautier DE PUYGUYON, jeune écuyer, est vêtu d'une tunique rouge et d'un haubert. Il est allongé sur le ventre au milieu de la chapelle, en prière dans la pénombre, tandis qu'un acolyte vient allumer les cierges. Sur l'autel se trouve l'épée, le baudrier, les éperons, le casque, ainsi qu'un antiphonaire. Sur le côté se trouve la lance, et le bouclier aux armes des Puyguyon. Le pèlerin raconte :).

"- Nous voici là revenus à une autre époque que nul ici n' a pu connaître, mais que nul aussi n'a pu oublier : le temps des croisades et de la chevalerie, au tout début du XIIIe siècle.

En ce temps là, un jeune noble de Cerizay, Gautier de Puyguyon, alors âgé de 7 ans, fut confié par ses parents au seigneur de Saint Mesmin, comme simple page.

On dit qu'il quitta le château alors qu'il n'était encore qu'un jeune écuyer, pour prendre part à une extraordinaire épopée : se rendre à Jérusalem, où le tombeau du Christ, le très Saint Sépulcre, était encore aux mains des infidèles, avec quelques 30 000 enfants garçons ou filles venus de toutes les provinces. Avec leurs simples croix de bois et leurs chants de procession, tous avaient suivi le jeune Etienne, simple berger du Vendômois. C'était ... la croisade des enfants ! Ils ne purent franchir la Méditerranée, et se dispersèrent alors.

A son retour, Gautier avait mûri dans la Foi et dans cette chapelle, il fut adoubé chevalier.

(Au son de la musique sacrée, le chapelain et le parrain entrent depuis la sacristie et le rite de l'adoubement commence).

- Gautier de Puyguyon, dit le prêtre, te voici purifié par le bain et le jeûne, et par la confession et la veillée de prières.  Tu as revêtu la tunique écarlate, de la couleur du sang que tu es prêt à verser. Lève-toi !

(le prêtre bénit l'épée, et la donne au parrain qui la pose sur l'épaule de Gautier. L'écuyer pose alors la main sur les Evangiles et écoute les serments de chevalerie lus par le prêtre.)

Tu croiras à tous les enseignements de l'Eglise, et à ses commandements
Tu la protègeras et tu défendras les faibles
Tu aimeras le pays d'où tu es né
Tu ne fuiras jamais devant l'ennemi
Tu combattras les infidèles avec acharnement
Tu rempliras les devoirs féodaux, s'ils ne sont pas contraires à la Loi divine
Tu ne mentiras jamais et tu tiendras ta parole
Tu seras libéral et généreux
Tu seras toujours le champion du bien contre l'injustice du mal.

(Son parrain lui passe le baudrier, et lui remet son épée, son bouclier, sa lance de frêne et son casque Il lui administre ensuite la collée en disant :).


- N'oublie pas tes serments, et que cette collée soit la dernière que tu puisses recevoir sans la rendre !

- Au nom de Dieu, de Saint Michel et de Saint Georges, te voici maintenant chevalier. Sois vaillant, loyal et généreux !


(Les protagonistes retournent à la sacristie. Le pèlerin :)


- Gautier de Puyguyon partit ensuite outre-mer. Il rapporta de croisade une extraordinaire relique : le chevet de la Vierge, un coussin de tissu où l'enfant Jésus lui-même aurait posé sa tête.

C'est cette relique que son descendant, Pierre de Puyguyon, offrit en 1373 au sanctuaire de Beauchêne, tout proche d'ici, non loin des méandres de la Sèvre. Un sanctuaire construit sur le lieu même où des moines découvrirent, dans le creux d'un chêne, une miraculeuse statue près de laquelle paissait un bœuf gras tout le long du jour.



Ce soir, on attend  la relique au château, car au-dessus de nous, dans la chambre du seigneur, une naissance se prépare...





Scène VI : dans la salle de lecture



[Ambiance : ...]

Jehan IV de Montfaucon, le seigneur châtelain, est là. Il consulte des plans et inspecte la maquette du château, puis s'adresse à son maître d'œuvre.

"- Quelle fierté que notre beau castel, bâti par notre ancêtre le chevalier Jean !
C'était au XIIIe siècle, du temps de Philippe III le Hardi.
Au siècle suivant, mon aïeul Pierre de Montfaucon le fit fortifier pendant cette maudite guerre, de son propre chef en 1372, du temps du roi Charles V le Sage.
Le seigneur suzerain, le très puissant Guillaume VII L'archevêque, seigneur de Parthenay, toute juste revenu au service du roi après avoir donné sa fidélité au roi d'Angleterre pendant plus de 15 ans, n'apprécia guère que l'on outrepasse son autorité. Il menaça le château de démolition.
Il fallu toute la diplomatie des hommes de loi pour obtenir finalement devant le Roi, en son Parlement de Paris, une transaction trois ans plus tard. Après tout, notre place forte permettait de tenir une peu plus le pays dans cette guerre qui battait son plein depuis déjà 50 ans.

Mais cette même année 1375, pour se venger, Guillaume L'Archevêque convoqua Pierre de Montfaucon pour remplir ses devoirs féodaux au siège de Cognac, et envoya pendant ce temps plusieurs complices, qui vinrent piller et incendier les lieux.

- vous aussi, monseigneur, répond le maître d'œuvre, vous avez procédé à de belles améliorations, avec ce beau donjon que nous terminons tout juste. Quelle belle tour de 15 toises, couronnée avec le chemin de ronde ! Et ses grandes fenêtres à traverse et meneau : il y a là une proportion parfaite. Voyons ma pige (il prend sa pige et mesure la fenêtre, puis il montre sa main et son coude) : paume, palme, empan, pied, coudée : et oui, c'est l'homme créé par Dieu qui est à la mesure de toute chose, grâce à la divine proportion. Pour passer de l'un à l'autre, c'est toujours en multipliant par 1,618 ! C'est le nombre d'or.

Et j'ai toujours avec moi mon compas, mon niveau, et ma corde à 13 nœuds, avec une paume entre chaque nœud, et que je peux plier plusieurs fois ... multiplier, pour faire des multiplications. Rien de plus simple que les mathématiques euclidiennes !
(Il demande au pèlerin de tenir le bout de la corde). Voici le carré court, et le carré long, le triangle isocèle, le triangle des charpentier (il fait un triangle équilatéral). Voici maintenant 4 nœuds en ligne d'abord, suivi de 4 autres dans l'autre sens, et je rejoins le premier avec les 6 derniers nœuds. J'obtiens un angle droit, sans équerre. Et pour faire des toits : je fais un carré long et je rassemble les deux nœuds du milieu.

- Tu veilleras maintenant à faire décorer les salles : pourquoi pas une scène biblique tirée de la Genèse, avec le lion d'or des Montfaucon en lion de la tribu de Juda pour représenter le Christ, ou bien une scène de chasse figurant l'aigle d'or des Beaumont-Bressuire, tiré des armoiries de ma jeune épouse, et puis au sol des carreaux de terre cuite incrustés de motifs...

- Oui, monseigneur, des décors de vénerie et de fauconnerie, de belles verdures, avec vos veneurs équipés de lances et d'épieux, vos valets et leurs sonnettes, et vos nobles chiens griffons, et puis en face des cerfs, des chevreuils, des sangliers et des lièvres, et aussi des loups.

Et nous aménagerons aussi de beaux jardins...







Scène VII : dans la chambre



[Ambiance : fébrile et imminente]

Ce soir, la lune est ronde et opaline. Dans la chambre, il flotte un parfum mêlé de joie et d'inquiétude. Guillemette BAILLE-BIEN, la servante chambrière, change les vieilles chandelles par des neuves, qui sentent le suif et fument noir. Elles brûleront bien trois ou quatre heures, jusqu'aux matines vers minuit. Car c'est une naissance que le seigneur de Montfaucon, qui eut trois filles d'un premier lit, attend de Marie sa jeune épouse, âgée de 17 ans, et fille de Guy de BEAUMONT-BRESSUIRE...

Trois fillettes s'appliquent à leurs ouvrages de broderie, de calligraphie et de lecture.
La matrone, Marguerite JOBET, dispose près du lit, sur le coffre, ses préparations.
Dans l'embrasure de la fenêtre, des musiciens patientent...

Soudain, on entend un gémissement de douleur dans les latrines. La servante se précipite pour aider la Dame de Montfaucon, qui d'une main tient son ventre et de l'autre le mur, à entrer dans la pièce.

"- Comme vous êtes grosse, Madame, vraiment ce sera pour cette nuit, avec ce bain de camomille et de fenouil où vous avez bien trempé ce soir. Regardez, on a fleuri la pièce et mis là des médailles de la Vierge de Beauchêne.

On a  aussi fait prévenir votre époux, qui n'a eu que des filles de feue sa première épouse, la Dame Marie de Beauçay, et qui est très impatient de connaître le sort de sa descendance depuis quatre siècles qu'il y a ici des Montfaucon. On a aussi fait prévenir votre père, Guy de Beaumont-Bressuire.

Voyez, Marguerite la matrone est là, et ces musiciens pour vous faire oublier vos tourments. Remettez la ceinture de racines de courge de sainte Marguerite, et asseyez-vous donc au bord du lit.

- Merci Guillemette, répond la Dame. Allons, mes filles, laissez vos ouvrages, et chantez-moi un de ces nouveaux airs venus du Nord, composé par le sieur Josquin Desprez.

Pendant que la servante prépare les oreillers, la dame s'appuie sur le bois du lit et se laisse aller à écouter la voix des fillettes. Elles entonnent "Mille regretz de vous abandonner...", avec l'accompagnement des musiciens.

La servante apporte ensuite un bol de bouillon :

"- Voilà votre bouillon, dit Guillemette,  j'ai pris grand soin de ne point mettre de sel.

- Oui, reprend Marguerite, ce sont les secrets de mon art de mère-alleresse. Si on met du sel, l'enfant pourrait naître sans ongle et tout chauve.
Mais tout va se passer pour le mieux, l'accouchement sera facile car votre haleine est bonne...

- De toutes façons, le prêtre est juste en bas ! rétorque la servante.

- Avez-vous pris soin de ne jamais éternuer et de ne pas croiser les mains, reprend la matrone, pour éviter que  le cordon ne se mette autour du cou ? Et toi, Guillemette, as-tu pris soin de délier tous les nœuds dans le château, et même de détacher les vaches à l'étable ?

A la naissance, je couperai le cordon à quatre doigts du nombril : quatre doigts comme les quatre âges de la vie et les autre saisons. De cette manière, si c'est un garçon, il aura bonne virilité.

- Et après l'accouchement, dit la servante, vous aurez droit à un peu de bouillon, de la volaille et un verre de vin. Et nous serons tous au grand festin quarante jours après, lors du banquet des relevailles.

- Tenez, reprend la matrone, voici du poivre venu des Indes que vous allez respirez pour faire venir les contractions.

Brusquement, la Dame se plie en deux dans un cri de douleur.

- J'ai perdu les eaux !

- Allons, dit la matrone, pendant que je m'enduis les mains d'huile [eau]de violette et de laurier, mettez votre beau diamant dans votre main, et venez vous mettre debout, face à la chaise. Marguerite va vous tenir sous les bras (elles s'exécutent).

Et vous autres, sortez, j'ai à faire !"





Scène VIII : dans la salle d'armes



[Ambiance : nostalgique]

(Baudouin est seul, il nettoie les armures. Philippe, le sergent, entre alors dans la pièce.)

"- Allons galopin montre moi ça. Ces armes sont de moins en moins bien tenues. Bassinets, bezagues, sabotons… Foi de sergent j'ai connu mieux. Pourtant combien d'hécatombes ai je vu sur les champs de batailles.
– Que voulez vous dire sergent ?
– Écoute petit j'ai tant de choses à te conter. Malgré mon âge, je n'ai pas connu toute cette guerre. Elle dure maintenant depuis près de 100 ans
– Comment tout ça à t-il commencé ?
– L'an 1337 a vu le début des calamités qui accablent notre pauvre royaume avec la défaite à la bataille navale de l’écluse. Lorsque j’étais enfant j'ai entendu le père de notre seigneur conter avec des frémissements la défaite de Crécy. C'était le 26 août de l'an 1346. Coté français la chevalerie chargea avec les 20000 hommes de notre armée. Derrière eux, 15000 arbalétriers génois soldés à prix d'or par le roi.
Les Anglais sont au tiers de nos forces mais voilà je vais te montrer quelque chose. Avec ce long bow en if, les archers gallois tirèrent 12 flèches à la minute. L'orage avait détrempé les cordes des arbalètes les rendant impuissantes. Imagine le ciel obscurci par une pluie de flèches. Beaucoup de preux moururent et, comble
d'infortune, notre roi philippe VI croyant à une trahison massacra les Génois. Un désordre indescriptible, un désastre.
– Nous n'avions donc connu que de défaites ?
– La malchance nous poursuivi en 1356 à Nouaillé près de Poitiers.Les archers du prince de Galles décimèrent à nouveau notre armée capturant notre roi jean le Bon qui mourut chez nos ennemis.
– Notre roi prisonnier ! Quel grand malheur.
– Crois-tu que cela ai servi de leçon ? Non point. Une bataille sanglante à eu lieu il y a peu. Tous se souvienne d'Azincourt le 26 octobre 1415.
– Je sais, j'y ai perdu mon oncle.
– Les Anglais 4 fois moins nombreux que les 20000 français occupent une position dominante. La pluie à transformé les champs en bourbier. Les anglais s'avancent à portée de flèches de nos troupes. A genoux ils communient avec une pincée de notre
terre de France. Les français embourbés, écrasés sous les flèches sont défaits. Tous les prisonniers sont massacrés sur l'ordre d'Henry V roi d’Angleterre. Que la honte et le déshonneur accablent les anglais.Toute notre chevalerie fut décimée. Quel espoir nous restait-il après que charles VI, frappé de folie, déshérita son fils au profit de l’Angleterre ?
– Nous n'aurons donc jamais raison de nos ennemis ?
– Écoute petit, le ciel est intervenu. J’étais à Patay le 10 juin 1429 comme piquier aux côtés des seigneurs Poitevins. Nous avons rejoint l'ost sur ordre du roi de Bourges réfugié à Chinon. Nous avons suivi la petite Jeanne, jeune pucelle de 17 ans.
Formidable bataille rangée face au archers anglais. Mais cette fois la chevalerie et l'intrépidité de Jeanne en eurent raison. Il laissèrent 2000 morts sur le champ alors que nous n'en déplorions que 4 à 5. C'est un cerf qui éventa l'embuscade anglaise au
dernier moment. Cette année là fut celle du sacre de Charles VII. Nous avions enfin retrouvé un roi.
– Et Jeanne alors ou est elle ?
– On dit quelle est captive. Que dieu la protège. Viens petit allons sur le chemin de ronde les temps ne sont pas sûrs.



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